Finance durable : 50 fonds classés Article 8 et 9 passés au crible
Publié par Christina DIEGO le | Mis à jour le
Alors que la finance durable se trouve à la croisée des chemins, WeeFin, fintech française spécialisée dans l'ESG, publie la deuxième édition de son Baromètre de la finance durable, une analyse approfondie des pratiques de 50 fonds classés Article 8 et 9 selon le règlement SFDR. Cette étude met en lumière les avancées en matière de responsabilité environnementale et sociale, mais également les limites persistantes des stratégies actuelles, tant sur le plan de la cohérence que de la transparence.
Pour la 2e édition du Baromètre de la finance durable* publiée par WeeFin, fintech à impact qui a pour mission d'accompagner les institutions financières vers des choix d'investissements plus durables, la fintech a mené une étude approfondie de 50 fonds classés Article 8 et 9. Objectifs : dresser un état des lieux précis des pratiques ESG en termes de progrès réalisés, d'écarts persistants, et de leviers pour faire évoluer les pratiques vers davantage de cohérence et d'impact. Pauline Berthouloux, Head of ESG Expertise chez WeeFin nous expose tout d'abord plusieurs éléments importants qui émanent de ce baromètre. Pour elle, la question est de savoir « si les fonds sont véritablement prêts à répondre aux exigences de la SFDR 2.0, réforme dont l'entrée en vigueur est attendue d'ici la fin de l'année ». Et l'examen des portefeuilles : « quelles sont les positions concrètement détenues par ces fonds ? Et surtout, en quoi se distinguent-ils de fonds dits "classiques", non labellisés ESG, ou de fonds à ambition simplement déclarative ? », nous explique-t-elle en préambule.
Une transition énergétique engagée mais incomplète
La pression exercée par les régulateurs et les attentes des investisseurs en matière climatique se traduisent progressivement dans les choix d'investissement. Selon le baromètre, 70 % des fonds étudiés excluent désormais les entreprises développant de nouveaux projets liés au charbon, marquant ainsi un infléchissement notable des pratiques. Ce chiffre contraste fortement avec celui observé aux États-Unis, où seulement 38 % des fonds appliquent une telle exclusion. Pour Pauline Berthouloux, « Cette priorité s'explique par le fait que le charbon est historiquement le secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre, et que les données publiques permettant d'identifier les entreprises actives dans ce domaine sont facilement accessibles. Cela a permis aux acteurs financiers de s'approprier rapidement le sujet », indique-t-elle.
L'attention se porte désormais progressivement sur les hydrocarbures non conventionnels, dans une approche séquentielle, où chaque secteur est traité successivement. « À terme, d'autres industries à forte intensité carbone, comme l'acier, pourraient également faire l'objet d'une vigilance accrue », envisage-t-elle.
Toutefois, le secteur pétrolier et gazier échappe encore largement à cette logique d'exclusion. Parmi les fonds disposant d'une politique en matière d'hydrocarbures, 74 % n'excluent pas les entreprises engagées dans de nouveaux projets, et 83 % n'ont pris aucun engagement public pour s'en désengager. Cette dualité souligne la complexité de concilier impératifs climatiques et dépendance structurelle aux énergies fossiles dans la gestion des portefeuilles. Il semblerait de plus en plus admis que fonder une politique d'exclusion uniquement sur un seuil de chiffre d'affaires lié à une activité donnée perde en pertinence, notamment dans une logique d'accompagnement et de transition. « À l'inverse, exclure les émetteurs engagés dans le développement de nouveaux projets incompatibles avec les objectifs de transition écologique apparaît comme une démarche cohérente et pleinement justifiée », assure-t-elle.
SFDR 2.0 : une montée en exigence réglementaire difficile à suivre
Entrée en vigueur en 2021, la Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR) a instauré de premières exigences de transparence. Mais l'évolution vers SFDR 2.0, officialisée fin 2024, introduit des critères plus rigoureux encore. Aucun des fonds classés Article 9 analysés par WeeFin ne satisfait pleinement aux nouvelles exigences de la catégorie « durable ». L'exclusion des producteurs d'électricité à forte intensité carbone reste marginale (11 % des fonds concernés), tandis que l'intégration des Principales Incidences Négatives (PAI) demeure hétérogène.
La cause ? Des données ESG peu standardisées, une qualité d'information inégale, et l'absence d'harmonisation internationale. Face à ces obstacles, certains gestionnaires ajustent progressivement leurs processus, mais la mise en conformité reste un chantier ouvert.
En effet, face à ces limites, la Commission européenne a lancé des consultations et, avec l'appui de la Plateforme de la finance durable, propose désormais une nouvelle classification des fonds, inspirée du modèle britannique, distinguant notamment les fonds de transition et à impact. « Sur cette base, une évaluation des pratiques actuelles montre que la mise en conformité avec la future SFDR 2.0 nécessitera des ajustements importants, notamment en matière de qualité des données et de reporting », souligne Pauline Berthouloux.
Aujourd'hui, le respect des critères d'exclusion reste partiellement appliqué, alors même que les fonds qualifiés de « durables » ne devraient plus investir dans certains secteurs, comme celui du charbon. « Les exigences de reporting vont fortement s'intensifier, notamment sur les pratiques d'engagement, en lien avec la directive CSRD, obligeant les fonds à fournir des données précises sur leurs portefeuilles, et non plus uniquement au niveau global de l'entité. Cette évolution suppose que les informations ESG soient désagrégées à l'échelle de chaque portefeuille, afin de permettre aux investisseurs d'évaluer concrètement les performances environnementales et sociales de leurs placements », analyse-t-elle.
Engagement actionnarial : des intentions affirmées, des résultats à clarifier
L'engagement actionnarial, longtemps perçu comme une alternative aux politiques d'exclusion, devient un pilier stratégique de la finance responsable. 84 % des fonds interrogés déclarent mener des actions d'influence (dialogue, votes en assemblées générales, pression sur la gouvernance). Néanmoins, seuls 35 % des fonds français publient des rapports d'engagement, contre 14 % au Royaume-Uni et 8 % aux États-Unis.
Cette transparence limitée nuit à la lisibilité des démarches et questionne leur réelle efficacité. Faute de reporting détaillé, il devient difficile pour les investisseurs comme pour les régulateurs d'évaluer l'impact réel de ces actions sur la durabilité des entreprises financées.
Un écosystème français plus transparent et engagé
La France se distingue par une dynamique plus structurée que la moyenne européenne. Avec 35 % des fonds hexagonaux publiant un rapport d'engagement, le pays s'affirme comme un modèle en matière de transparence et de redevabilité. Cette approche proactive semble refléter une volonté affirmée de structurer la finance durable autour d'indicateurs objectifs, au service d'une stratégie d'impact mesurable.
Vers une professionnalisation accrue, portée par les outils technologiques
Les résultats du baromètre révèlent que les freins à la transformation durable ne sont pas uniquement idéologiques ou stratégiques, mais bien souvent techniques et opérationnels. À mesure que les exigences réglementaires se durcissent, les gestionnaires d'actifs doivent s'appuyer sur des solutions numériques capables de garantir la qualité des données ESG, la conformité réglementaire, et l'efficacité des processus d'engagement.
Méthodologie :
*L'étude repose sur l'analyse de 500 points de données collectés auprès de 50 fonds Article 8 et 9, gérés par des sociétés figurant parmi les 500 premières mondiales ou les 50 premières françaises. Le périmètre couvre les principales places financières européennes (France, Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suisse, Italie, Danemark) ainsi que des fonds américains, afin de refléter la diversité des pratiques à l'échelle mondiale.