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La comptabilité intégrée : une révolution est en marche

Publié par Pauline Cardinaud le | Mis à jour le

Il a fallu des siècles de R&D pour aboutir aux normes comptables financières. Nous avons dix ans pour créer une nouvelle comptabilité qui recense et mesure l'empreinte sociale et environnementale de l'entreprise, pour l'appréhender dans sa globalité et non plus sous le seul prisme financier.

Lors de la conférence intitulée "La comptabilité intégrée, un outil de transformation de l'entreprise" organisée par C3D, d'ORÉE et de l'ORSE, Patrick de Cambourg, président de l'Autorité des normes comptables, est venu témoigner : " on sort d'une période friedmannienne où seule la performance financière comptait, a-t-il expliqué. Aujourd'hui, on cherche une méthodologie pour exprimer le fait que la création de richesse de l'entreprise est autrement plus vaste et complexe. Un changement très important est en marche pour donner de l'entreprise une image complète, et non plus partielle ". La conférence présentait 5 méthodes co-construites par des universitaires et/ou experts et des entreprises pour créer cette comptabilité du futur qui se heurte à de nombreuses difficultés, comme par exemple la variété de l'information traitée (mesure des émissions de GES, impacts d'une activité sur la biodiversité ou encore écarts de rémunération hommes/ femmes) et la difficulté de quantifier certains flux.

La méthode SeMA

Portée par la chaire Positive Business de l'Université Paris Nanterre et la SARL Métamorphose, la méthode SeMA propose d'évaluer et de valoriser économiquement les efforts faits en matière de durabilité par l'intégration des axes économique, social et environnemental au coeur du système comptable. La première étape consiste à analyser l'entreprise pour identifier les enjeux liés à son activité. Les impacts majeurs à traiter sont définis et comptabilisés. L'objectif est de générer des indicateurs de mesure comptable pour les impacts identifiés. Ensuite, on les positionne dans la chaîne de valeur de l'offre ; la modélisation comptable peut alors commencer : une colonne parallèle est créée et une valeur est rattachée à la ligne comptable porteuse de ces impacts. Cette méthode propose également d'afficher l'indicateur de perception sociale interne, basé sur un questionnaire anonyme des salariés, sous le bilan des entreprises.

La comptabilité universelle

L'ambition de la comptabilité universelle, modèle pensé par le cabinet de Saint-Front, est de donner une existence aux actions non financières en leur donnant une valeur monétaire. Concrètement, il s'agit de créer trois comptabilités (environnementale, sociétale et gouvernance) qui se rajoutent à la comptabilité financière. Le cabinet propose une valeur de monétarisation des différents éléments en se basant sur des études et des rapports scientifiques. La monnaie est utilisée comme étalon de mesure et non comme support d'échange. Par exemple, 10 tonnes de CO2 à 100€ la tonne donne un impact négatif de 1000€. Dans le compte de résultat environnemental, les charges peuvent être l'énergie utilisée, les déchets produits, et les produits les investissements réalisés pour la transition écologique... Dans le compte de résultat social, l'absentéisme et les accidents sont considérés comme des charges et la masse salariale et la formation comme des produits. Et dans le compte de résultat gouvernance, on trouve dans les produits le mécénat, les impôts, les achats locaux...

Le modèle LIFTS

Porté par la Chaire de recherche Performance globale multi-capitaux Audencia, le modèle LIFTS, pour Limits and Foundations Towards Sustainability, permet de voir si une entreprise respecte les limites planétaires et les fondations sociales. Il se base sur la théorie du donut de Kate Raworth : 9 limites environnementales de la planète (dont le changement climatique, acidification des océans, utilisation mondiale de l'eau, érosion de la biodiversité...) forment le plafond et 12 fondations sociales (accès à l'eau, employabilité, revenu et travail, égalité des sexes...) forment le plancher de ce donut. C'est entre les deux qu'une économie durable peut prospérer. Reprise à l'échelle des organisations, cette théorie nécessite d'opérer un découpage du budget planétaire en budget pour l'entreprise : pour chaque limite et chaque fondation un budget lui est alloué. Ensuite, il y a un suivi de la consommation de ces budgets, évalué par des écritures comptables physiques : kwh consommés, nombre d'ordinateurs achetés... Quand la limite est dépassée, ou que la fondation n'est pas respectée, l'entreprise s'endette. Par exemple, si elle disposait de 4790t de CO2 à dépenser en 2020, et qu'elle en a dépensé 6000, elle obtient une dette fictive de 1210t de CO2 qui se reporte sur le budget de l'année suivante. Si cela se répète on pourra évoquer une faillite environnementale...

La méthode Thesaurus-Triple-Empreinte

Développée par Goodwill Management, la méthode Thesaurus-Triple-Empreinte repose sur des principes de comptabilité étendue étudiés depuis 1987. Elle propose de revisiter l'actif et le passif du bilan pour y intégrer des éléments complémentaires : un nouveau compte de résultat recense et comptabilise tous les flux économiques sociaux et environnementaux dont l'entreprise est à l'origine, directement ou indirectement. La méthode de calcul permet de traduire en valeur économique les impacts positifs et négatifs des entreprises. Un nouveau bilan est également réalisé. Cette méthode permet de décrire l'impact environnemental de l'entreprise sous forme de grandeurs physiques : les impacts sont ensuite convertis en euros selon leurs impacts sur l'économie à long terme, à partir de travaux scientifiques. L'impact de la pollution de l'air est, par exemple, monétarisé à travers le coût qu'elle représente pour la collectivité.

Le modèle CARE

Le modèle CARE, pour Comprehensive Accounting in Respect of Ecology, est développé et expérimenté par une communauté fédérée par la Chaire Comptabilité Ecologique qui rassemble de nombreuses universités dont Agro Paris Tech et Dauphine. Il permet à l'organisation de comprendre comment les capitaux participent à son activité et quel est le support réel de sa création de valeur. Son paradigme de base est d'étendre la définition du capital financier comme avance/dette aux enjeux non-financiers : le capital devient alors une entité (matérielle ou non, humaine ou non) dont l'existence est indépendante de l'organisation, reconnue comme devant être préservée et qui est employée et consommée par l'organisation dans son modèle d'affaires. Pour chaque capital, une étude est faite de son emploi dans l'organisation et son remboursement (préservation) est garanti à terme. Pour mettre en oeuvre ce modèle, la première étape consiste à définir les capitaux à préserver par l'entreprise, par exemple capital-sol, capital-atmosphère ou capital-biodiversité... Ces capitaux sont ensuite représentés par des indicateurs capables de renseigner sur l'état écologique de ces capitaux et associés à des seuils de préservation scientifiquement validés. Dépasser ces seuils c'est dégrader son capital et donc créer une dette. Les informations récupérées forment une comptabilité biophysique qui évalue les flux entrants et les flux sortants de l'organisation. Elle est reprise et traduite monétairement via les coûts de préservation.

On le voit, la création de standards comptables pour le social, l'environnemental et la gouvernance est loin d'être simple. Mais la pression conjuguée des investisseurs, de la société civile, des salariés et de la réglementation oblige les entreprises à s'y intéresser. " Les entreprises doivent agir vite et fort ! conclut Hélène Valade, présidente de l'ORSE et directrice développement environnement du Groupe LVMH. Je reviens de la Cop26 : il en ressort que les Etats ont du mal à s'emparer du sujet de la transition écologique. C'est donc aux entreprises de s'engager et de prendre leurs responsabilités pour insuffler le changement nécessaire. "





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