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5 dirigeants à succès partagent leur expérience de l'échec

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Qu'ont en commun Pierre Kosciusko-Morizet, Loïc Le Meur, Marc Rougier, Éric Carreel et Rafi Haladjian, ces entrepreneurs dont le nom rime aujourd'hui avec succès internationaux ? L'échec ! Ils témoignent ici de la dimension pédagogique que peut revêtir l'insuccès... à condition de rebondir.

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"Il faut casser le cliché du culte de la perfection." Loïc Le Meur, fondateur de Leade.rs

Installé à San Francisco depuis dix ans, Loïc Le Meur est à des lieues de la vision de l'échec à la française. "Il fait partie intégrante de ce qui va arriver à un entrepreneur. Il faut casser ce cliché du culte de la perfection et échouer, le plus possible, à condition d'apprendre de ses erreurs pour les rendre constructives. C'est comme ça qu'on devient meilleur", affirme celui qui a expérimenté la chose avec Seesmic, sa société fondée en 2007 et l'un des principaux clients Twitter aux premiers pépiements de l'oiseau bleu. Car quand Twitter reprend soudainement le contrôle sur les applications de son écosystème, Seesmic est littéralement étranglée. Loïc Le Meur se résout à la céder à la concurrence "pour pas grand-chose".

Un échec dont il a tiré les enseignements, pour mieux les valoriser dans sa nouvelle aventure entrepreneuriale Leade.rs, une application mettant en relation les chefs de file de tous domaines avec des événements du monde entier. "Je ne suis dépendant d'aucune plateforme, je ne crée plus dans le jardin d'un autre. Et avec Leade.rs, je suis dans le moment. J'ai appris à travailler sur ce dont les gens ont besoin aujourd'hui." Une allusion à la conversation vidéo notamment, vocation première de Seesmic très vite avortée. "C'était dix ans trop tôt par rapport aux attentes du marché et à l'équipement des utilisateurs!"

De son expérience, il a retiré une véritable philosophie de vie, renforcée par sa pratique de la méditation: "Aujourd'hui encore, j'ai un échec par jour, même s'il n'est pas grand. Ça m'apprend l'humilité. J'essaie de conserver "l'esprit du débutant": ne jamais être trop sûr de moi et prendre du recul en permanence."

Leade.rs Inc., Leade.rs France
San Francisco, Paris (75)
Loïc Le Meur, 44 ans
SAS > Création en 2016
9 salariés (7 aux États-Unis et 2 en France)
CA: NC
@leaderscentral
@loic

"L'échec est un apprentissage intellectuel et humain accéléré." Marc Rougier, président de Scoop.it et associé chez Elaïa

"Les échecs peuvent être stimulants, ils changent notre connaissance de nous-même. Ils permettent d'apprendre en accéléré, d'un point de vue technique et intellectuel mais aussi humain. Je me suis amélioré en termes de gestion de mon énergie et dans ma relation à l'autre", raconte Marc Rougier, pour qui on apprend surtout des expériences dont on arrive à se relever.

Cela peut passer par un pivot, comme celui opéré par Goojet, sa start-up cofondée en 2007 et dont l'application permettait d'accéder à du contenu web sur mobile. Après trois années compliquées, la société change son fusil d'épaule et devient Scoop.it, un outil de curation à destination des particuliers et de communication pour les entreprises. Après une levée de fonds de 2,6 M$ en 2013, Scoop.it poursuit aujourd'hui son développement depuis San Francisco. Le spectre de l'erreur fait toujours partie de l'équation et pour Marc Rougier, tout entrepreneur est contraint à une forme de schizophrénie : "On a une grande ambition mais on sait qu'il y a sept chances sur dix que sa start-up ne passe pas deux ans."

Ce qui n'empêche pas de recommencer. "Si on joue ce jeu-là, c'est qu'on a envie de pousser les limites, qu'on a assez d'imagination pour trouver un autre domaine dans lequel on pourra à nouveau rater, ou réussir!"

Une aptitude des dirigeants à la résilience à laquelle Elaia Partners, le fonds d'investissement auquel il est désormais associé, est très sensible. "Il ne faut jamais cacher ses échecs mais les accepter. À condition de les analyser correctement."

Scoop.it
San Francisco, Toulouse (31)
Marc rougier, 52 ans et Guillaume Decugis, 45 ans
SAS > Création en 2011
25 salariés
CA: NC
@scoopit

"Stigmatiser l'échec revient à tuer l'innovation, risquée par essence." Éric Carreel, président de Sculpteo et d'Invoxia

Pour Éric Carreel, les risques sont intrinsèques à la démarche d'entreprendre. "La créativité et l'innovation sont risquées par essence: elles consistent à essayer de faire quelque chose qu'on ne sait pas encore faire. Stigmatiser l'échec revient donc à tuer toute tentative d'innovation!"

Avec sa première entreprise Inventel, il a d'abord connu un succès fulgurant en inventant, au milieu des années quatre-vingt-dix, le Tam-Tam. Mais cinq ans plus tard l'apparition du SMS - que l'ingénieur-entrepreneur n'avait pas vu venir - rend son système de messagerie électronique obsolète en à peine quelques mois. Cette déconvenue ne l'empêche pourtant pas de persévérer et de créer la Livebox pour France Télécom, contribuant ainsi à l'avènement du triple play.

"Pour positiver l'échec, il ne faut pas garder le nez dedans. Il faut bien sûr d'abord l'intégrer, puis s'oxygéner avant de repartir sur le coup d'après", conseille-t-il. D'autant que "l'apprentissage passe par l'expérience, qui crée de nouveaux réflexes permettant, face aux prochaines difficultés, de réagir en avance de phase."

En fondant par la suite Withings (rachetée par Nokia en 2016), puis Sculpteo et Invoxia, Éric Carreel est resté fidèle à cet état d'esprit, qu'il tente d'insuffler à ses équipes: "Chacun connaît sa part de responsabilité. On assume l'échec ensemble et on essaie de voir comment, ensemble, on va faire un pas de plus. Cela crée une vraie dynamique d'équipe et c'est l'une des plus grandes joies de mon métier d'entrepreneur."

Invoxia
Création, développement et production d'objets connectés pour la communication
Issy-les-Moulineaux (92)
Éric Carreel, 57 ans, Serge Renouard, 47 ans et Sébastien de la Bastie, 41 ans
SAS > Création en 2010 > 50 salariés
CA: NC
@invoxia

Sculpteo
Service en ligne d'impression 3D et de découpe laser
Villejuif (94)
Éric Carreel, 57 ans et Clément Moreau, 38 ans
SAS > Création en 2009 > 30 salariés
CA: NC
@sculpteo

"Il faut une certaine dose d'inconscience pour être entrepreneur." Pierre Kosciusko-Morizet, cofondateur d'Isai et de Kernel Investissement

Selon Pierre Kosciusko-Morizet, les échecs, plus ou moins grands, sont le lot de tout entrepreneur. Car "pour y aller, il faut une certaine dose d'inconscience, avoir envie d'être un peu différent et oser jouer contre les probabilités". Les craindre ne sert donc à rien, mais il est nécessaire d'apprendre à gérer les difficultés et les erreurs pour qu'elles soient profitables. "La culture de l'échec est celle de l'essai, de la prise de risque: tant qu'ils sont pris avec une approche rationnelle et que, si ça ne marche pas, on en tire les conséquences rapidement, il n'y a pas de problème à échouer. Et je connais peu d'entrepreneurs qui ont jeté l'éponge après un échec!"

Dans son cas, le premier revers arrive très vite. En 1998, depuis les bancs d'HEC, il crée Visualis dans laquelle il investit son prêt étudiant. Sa société vend un système de comptage de clients à des entreprises, mais l'affaire ne prend pas vraiment. Un an plus tard, c'est le dépôt de bilan. "Avec cette boîte, j'ai appris trois choses. D'abord, que j'aimais vraiment ça et que j'avais envie d'en remonter une. Ensuite, que je n'aimais pas être seul, que je voulais partager cela avec un cofondateur. Et enfin, que je ne voulais pas me limiter au B to B et dépendre de quelques clients. Pour être libre, il fallait que je m'adresse au plus grand nombre."

Fort de ces leçons et après quelques mois aux États-Unis où il découvre la vente entre particuliers à travers le site Half.com, il quitte son emploi en 15 jours, revient en France et crée avec Pierre Krings l'incontournable PriceMinister, qui fera son succès.

Kernel investissements
Investissement et développement d'entreprises
Paris (75)
Pierre Kosciusko-Morizet, 39 ans et Pierre Krings, 38 ans
Société civile > Création en 2006
CA: NC

"J'ai monté des entreprises suicidaires toute ma vie." Rafi Haladjian, fondateur de Sen.se

Redouter l'échec est la meilleure manière de se planter, puisqu'il est impossible d'anticiper tous les problèmes potentiels. Le fondateur de Sen.se, pape français des objets connectés et à l'origine de 17 sociétés en près de 25 années d'entrepreneuriat, fonctionne donc à l'instinct, parle d'insouciance et d'exaltation. "On a une idée, on y va sans trop se poser de questions et souvent... ça marche!"

Exemple avec la création de FranceNet en 1994: "J'ai lancé le premier opérateur internet en France à une époque où les gens n'avaient ni ordinateur ni modem. Internet ne servait à rien, on n'y trouvait rien d'intéressant! J'ai monté des entreprises suicidaires toute ma vie, à l'inverse de ce qu'enseignent les livres de marketing. Et ça a été très utile", ironise ce visionnaire du numérique, qui vendra FranceNet à British Telecom en 2001 après sept ans de croissance.

Et quand ça ne marche pas? "Mourir est une façon d'essayer des choses. Échouer n'est pas grave, c'est juste du darwinisme, commente Rafi Haladjian. C'est là l'exercice difficile: avoir assez de conviction pour y aller, mais pas de certitude absolue. Ne jamais penser que si ça ne marche pas vous êtes mort, car vous n'avez pas de conversion possible."

Lui ne s'interdit aucun changement de paradigme, comme récemment, avec le lancement de ses Peanuts, primés au CES 2017. "Après Mother, un produit high-tech (trop?) sophistiqué, ils sont le fruit d'un travail de simplification. On a réutilisé notre expertise pour la convertir en quelque chose qui répond mieux aux attentes du marché."

Sen.se
Internet des objets, objets connectés
Paris (75)
Rafi Haladjian, 55 ans
SAS > Création en 2009 > 30 salariés
CA: NC
@sen_se

Lauranne Provenzano

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