Lever des fonds : ne pas troquer le cap contre le cash
Publié par Par Nicolas Bros le - mis à jour à
Accélérer sa croissance, financer l'innovation ou structurer son organisation : lever des fonds peut être un levier puissant, à condition de bien s'y préparer. Entre choix du bon mécanisme, attentes des investisseurs et pièges à éviter, décryptage des étapes clés d'une levée réussie.
En 2024, malgré un contexte économique compliqué, les start-up françaises ont levé 8,1 milliards d'euros via un total de 822 opérations[1]. Si le marché a poursuivi sa contraction par rapport à 2022, une année record avec ses 13,6 milliards d'euros, ces chiffres montrent que la levée de fonds demeure toujours un levier stratégique afin de soutenir l'innovation, structurer l'organisation ou accélérer le développement à l'international. Dans ce contexte plus sélectif, la rigueur et l'anticipation deviennent essentielles. Mais comment savoir si le moment est opportun pour se lancer dans une telle démarche ? Quel type d'investisseur viser ? Et comment bien se préparer ?
Quel financement ?
Les entreprises en quête de financement disposent aujourd'hui d'un large éventail de solutions, chacune présentant ses propres modalités, avantages, mais aussi exigences. Le choix du bon outil dépendra du stade de développement, de l'urgence du besoin de financement, de l'appétence à la dilution et du niveau de structuration interne de l'entreprise.
Les business angels, souvent les premiers à croire au potentiel d'un projet, jouent un rôle clé dans la phase d'amorçage. Ces investisseurs individuels apportent non seulement des capitaux, mais aussi un accompagnement de proximité, notamment sous forme de mentoring et de mises en relation qualifiées. « Un business angel investit son argent, mais aussi ses compétences et ouvre son carnet d'adresses, explique Jacques Meler, coprésident de France Angels (Fédération nationale des business angels comptant 5 500 business angels actifs au sein d'une soixantaine de réseaux répartis en France). C ela dit, nous ne prenons pas la tête de l'entreprise, c'est le dirigeant qui reste maître à bord. On lui demande simplement du reporting régulier. » En 2023, le réseau France Angels a permis l'injection de plus de 50 millions d'euros via 441 opérations réalisées avec un ticket se situant majoritairement entre 200 et 500 mille euros par projet, principalement dans le numérique et la santé.
Les fonds d'investissement, un levier
Intervenant généralement à des stades plus avancés, les fonds d'investissement, qu'il s'agisse de capital-risque (« venture capital ») ou de capital développement, apporte un financement nécessaire lorsque le produit est validé et que le modèle économique a déjà fait ses preuves. C'est le cas d'Elaia, cabinet possédant trois fonds permettant des investissements allant de 300 000 euros à plus de 15 millions dans des entreprises technologiques B to B. Possédant une expertise scientifique et technologie avec une forte appétence pour le business, Elaia intervient principalement en Europe et en Israël. « Nous sommes ce que l'on appelle un "full stack investor" et nous intervenons depuis la création de la société jusqu'à l'accompagnement de structures visant un leadership dans leur domaine, souligne Alexis Frentz, Investment Director chez Elaia. Pour chaque investissement, nous utilisons un cadre d'analyse précis constituant une grille de lecture commune que nous pondérons ensuite selon différents critères, comme par exemple le profil de l'équipe dirigeante, mais aussi le positionnement dans le marché, par rapport à la concurrence, mais aussi la taille du marché visé... » Autre donnée importante à intégrer, les fonds d'investissements vont avoir une implication plus importante dans le pilotage que d'autres potentiels investisseurs. « En matière de gouvernance, nous sommes très souvent en lead ou co-lead, détaille Alexis Frentz. Cela signifie siéger au board et être associés aux décisions stratégiques, comme l'ouverture d'une filiale à l'étranger ou pour la mise en place d'un futur tour de table. Nous ne faisons pas d'investissement financier passif. »
Parmi les alternatives, le crowdfunding permet aux entreprises B to C à forte dimension communautaire de lever entre 50 000 et 1 million d'euros auprès de particuliers. Il permet de tester le marché, gagner en notoriété et fédérer une base de clients engagés, mais nécessite une forte mobilisation et une gestion administrative plus complexe. La dette privée et les obligations convertibles offrent une autre option, permettant de lever des fonds sans dilution immédiate, mais elles exigent une certaine maturité financière et peuvent alourdir la structure de la dette.
Se préparer efficacement à une levée de fonds
Une fois la bonne solution de financement identifiée, encore faut-il convaincre les investisseurs. Et cela commence bien avant le premier pitch, par quelques vérifications simples, comme l'explique Me Ghislain De Mareuil, avocat associé au cabinet Negotium, notamment spécialisé dans l'accompagnement des levées de fonds. « L'entrepreneur doit tout d'abord vérifier et mettre à jour si besoin ses statuts, le registre des actionnaires. Un autre point de vigilance souvent négligé est la conformité de la propriété intellectuelle. Il faut également vérifier que les stock-options éventuelles soient bien intégrées à la table de capitalisation. Ensuite, s'il existe un pacte d'actionnaires ou d'associés, voir si des clauses sont applicables en cas de levée de fonds, comme la présence d'un droit de véto pour un actionnaire. » Au-delà de ce check-up administratif, l'entrepreneur devra construire un business plan solide et bien documenté. Un élément crucial. « Avant toute levée de fonds, il est essentiel de définir une valorisation "pre-money" juste et cohérente, détaille Xavier Wargnier, co-fondateur des Ateliers HeritageBike, structure qui a levé 4 millions d'euros début 2025. Nous avons volontairement évité toute surévaluation spéculative, afin de prévenir la formation d'une bulle artificielle et d'éventuelles désillusions à moyen terme. » Une position appuyée par Jacques Meler qui rappelle « qu'il vaut mieux faire monter progressivement la valorisation avec plusieurs tours de tables. Tout cela quitte à utiliser des instruments juridiques et financiers comme les BSPCE[2], un pacte d'associés ou des clauses de ratchet permettant d'encadrer la relation entre fondateurs et investisseurs. » Cette dernière devant aussi être claire sur la gouvernance post levée de fonds. Un point également souvent oublié par les entrepreneurs, focalisés sur la valorisation de leur structure comme l'assure Me De Mareuil qui évoque également le fait que « si l'on est bien préparé, une levée de fonds peut aller très vite, en quelques mois seulement. »
Choisir le bon investisseur
Bien choisir ses nouveaux partenaires s'avère tout aussi stratégique que l'acte de lever des fonds lui-même. Derrière le montant proposé, ce sont des méthodes de travail, des attentes et un accompagnement qui diffèrent. Il est donc essentiel de vérifier l'alignement entre la vision de l'entreprise et celle de l'investisseur. « Il ne s'agissait pas simplement pour nous de séduire des investisseurs, mais bien d'établir une relation réciproque : chaque personne souhaitant entrer au capital devait aussi démontrer sa motivation, son engagement et son adhésion à notre projet. Et cela change tout », résume Xavier Wargnier. Une vision qui s'accorde avec celle des investisseurs. « Pour nous, il est indispensable de comprendre la dynamique de la personne qui se cache derrière le projet en plus des données liées au marché ou à l'activité de l'entreprise » , lance Alexis Frentz. L'enjeu est donc de trouver un équilibre entre soutien et autonomie, avec un partenaire qui partage les ambitions et le tempo de l'entreprise. « C'est une relation qui doit aller dans les deux sens », conclut Jacques Meler qui rappelle l'importance du paramètre humain de la démarche. Véritable acte structurant et engageant, une levée de fonds ne doit jamais être une course contre la montre, ni une simple réponse à un besoin de trésorerie. Bien préparée, elle permet d'embarquer des partenaires solides, de sécuriser son développement et de gagner en crédibilité. Un processus qui engage bien souvent le Daf qui y joue un rôle central. En gardant la main sur la stratégie comme sur la structuration juridique et financière, l'entreprise maximise ses chances de réussite... et évite bien des déconvenues.
[1] Données provenant du baromètre des levées de fonds
« In Extenso Innovation Croissance », réalisé chaque année en partenariat avec l'Essec et France Angels.
[2] Bons de souscription de parts de créateur d'entreprise.