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Lever des fonds sans nouveaux actionnaires, possible ?

Publié par Stéphanie Gallo Triouleyre le - mis à jour à

Lever des fonds ne signifie pas forcément diluer son capital. Tour d'horizon des leviers à disposition pour financer sa croissance sans en passer par la recherche de nouveaux actionnaires.

Il n'y a pas que les levées de fonds et l'ouverture du capital dans la vie d'une entreprise en recherche de financements. Il existe aussi tout un arsenal de dispositifs et possibilités permettant de se financer (pour tout ou partie de ses besoins), sans pour autant diluer son capital. Car, comme le rappelle Loïc Jeambrun, avocat associé Transaction & Corporate Law chez EY, la levée de fonds traditionnelle amène certaines contraintes qu'on peut souhaiter contourner. En premier lieu le partage de la gouvernance et la non-maîtrise dans le temps du partage de la valeur, et donc finalement du coût du financement. Car même si le business plan est établi consciencieusement, impossible de savoir exactement combien sera valorisée l'entreprise quelques années plus tard. Pour autant, l'ouverture de capital et les financements non dilutifs ne doivent pas être opposés. Dans les faits, les deux voies sont souvent mixées au sein d'opérations globales. « Dans le contexte actuel, risqué et instable, multiplier les sources de financement permet de mieux sécuriser l'avenir d'une entreprise », observe ainsi Matthieu Bacquin, président et cofondateur de Self & Innov, spécialiste du financement de l'innovation non dilutif.

Les subventions

Premier levier, reine du financement alternatif : la subvention. Non remboursable, c'est de l'argent « gratuit » pour l'entreprise. Il en existe plusieurs dizaines. Elles sont octroyées par les collectivités locales (en particulier les régions), par l'Europe, par la BPI, par l'Ademe, par la Bourse French Tech. Elles peuvent aussi être distribuées via des concours, des appels à projets (dans le cadre de France 2030 notamment)... Un panorama assez complet est disponible sur le site gouvernemental aides-entreprises.fr. Les principaux guichets étant la BPI et les Régions. Ces subventions peuvent venir soutenir des projets de recherche et innovation, une création d'entreprise, des investissements industriels, etc. Et elles peuvent être très importantes : par exemple, la subvention de 149 millions d'euros attribuée récemment par l'État français à Lhyfe, entreprise oeuvrant dans le domaine de la production d'hydrogène vert pour l'industrie et la mobilité. Elle a été accordée dans le cadre de la troisième vague de PIIEC (Projets importants d'intérêt européen commun). « Sur le financement de l'innovation, le système des subventions est assez puissant en France, contrairement à ce qu'on peut entendre ici ou là. Une entreprise qui a 100 000 euros de dépenses R&D peut espérer 45 % d'aides directes via les différents dispositifs, on peut même monter à 70 % avec la Bourse French Tech et French Tech Émergence », souligne Matthieu Bacquin. Il note néanmoins que l'obtention de ces subventions reste soumise à une sélection, parfois draconienne. « En 2025, 90% des flux de subventions sont fléchés vers les deep tech, impact tech et baby tech. Si on ne se situe pas dans un de ces trois cas, c'est plus complexe d'obtenir des subventions », précise l'expert. Et d'alerter sur une règle qui, sans être absolument vraie tout le temps et pour tous les types d'aides, est très fréquente : l'apport d'un euro de fonds propre pour un euro de subvention.

Toutefois, si elles constituent un outil de financement très intéressant car non remboursables, les subventions présentent aussi des contraintes, à prendre en compte avant de les accepter. « Les subventions présentent souvent une flexibilité très limitée. Lorsqu'on sollicite une subvention, on doit présenter un projet bien précis, avec un plan de développement et un plan de dépenses. L'entreprise peut difficilement modifier sa stratégie, pivoter ou se réorienter. L'argent alloué doit être absolument complètement destiné au projet présenté initialement », alerte ainsi Charles-Antoine Crosnier, dirigeant du cabinet iii-Financements. Un point que soulève également Anne-Cécile Vivien, avocat associé/docteur en droit public chez EY. « Il peut exister des conditions d'exigibilités, par exemple sur la création d'emplois associée à un projet, ou pour les fonds Feder des critères liés à la commande publique. Attention, il ne faut pas prendre cela à la légère, des contrôles peuvent être opérés. Si les conditions ne sont pas respectées, on peut demander à l'entreprise de restituer les fonds. » Autre point de vigilance : ne surtout pas avoir engagé les dépenses avant d'avoir sollicité la subvention. « C'est un principe de base valable pour toutes les aides publiques », précise l'avocate.

Les prêts/avances remboursables

Hormis le traditionnel prêt bancaire, première voie de financement non dilutif des entreprises et sur lequel il n'est pas nécessaire d'en dire ici beaucoup plus, d'autres formes de prêts plus avantageux sont disponibles, notamment via la BPI et les conseils régionaux. « L'argent est versé dès la signature de l'accord et l'entreprise peut ensuite faire ce qu'elle veut du cash injecté. » Attention toutefois aux clauses de défaut croisé, prévient Loïc Jeambrun d'EY. « Elles sont assez usuelles aujourd'hui et prévoient que si l'entreprise est en défaut sur un de ses contrats de financement, cela entrainera en cascade son défaut sur les autres contrats dans lesquels ces clauses sont stipulées et donc une exigibilité immédiate des fonds avancés. » Outre la BPI, plusieurs structures d'accompagnement des entreprises proposent des prêts bonifiés. Par exemple le Réseau Entreprendre ou Initiative France avec des prêts sur l'honneur accordés aux lauréats.

Les obligations

Autre levier de financement, passant lui aussi par l'endettement : le marché obligataire. Loïc Jeambrun en explique le principe : « L'entreprise émet des titres de créance souscrits par des investisseurs privés. Il s'agit d'une dette privée, ne donnant pas accès au capital, sauf si les obligations peuvent être converties en actions. » N'importe quelle entreprise, de la TPE au grand groupe, peut émettre des obligations, mais dans les faits ce sont plutôt de grandes entreprises ou, en tout cas, des structures matures, qui se lancent sur cette voie. Cette dette obligataire, qui est loin d'être gratuite (son coût dépendant de l'attractivité de l'entreprise), permet non seulement de ne pas ouvrir son capital, mais aussi de contourner d'éventuels refus bancaires. L'entreprise définit toutes les modalités (taux d'intérêt, clauses d'amortissement anticipé, éventuelle conversion en actions, etc.), tout l'enjeu étant évidemment de trouver preneur. Notons que, depuis 2014, l'emprunt obligataire est ouvert au financement participatif, ce qui facilite son recours pour les PME et les start-up. Pour son projet de giga-usine de photovoltaiques à Fos-sur-Mer, Carbon est passée ce printemps par une émission de 3 millions d'euros d'obligations via la plateforme Enerfip, au taux de 8,5 % par an. Il s'agit d'une toute petite partie de l'investissement global, estimé à 1,7 milliard d'euros, mais l'opération a été pensée dans une logique de communication et de mobilisation citoyenne autour du projet de l'entreprise.

Le crowdfunding

Pour des montants, généralement modestes, la piste du crowdfunding ou du crowdlending est également intéressante à explorer. D'autant plus quand l'entreprise a une cible B to C. Les montants sont généralement peu élevés et paient, dans les faits, des dépenses non finançables par des prêts traditionnels. « Cette option est plus spécifiquement intéressante lorsque les banques resserrent les conditions de financement », observe Romain Amblard, fondateur de l'accélérateur Service Compris, dédié aux entrepreneurs du secteur de la restauration.

La levée de fonds en royalties

Encore peu développée en France, cette modalité de financement est proposée par plusieurs plateformes. L'entreprise s'engage à verser à ses investisseurs un pourcentage de son chiffre d'affaires à venir. Ceux-ci ne rentrent pas au capital et n'ont donc pas accès à la gouvernance. Par rapport au prêt traditionnel, cette option offre l'avantage d'échéances ajustées au niveau de réussite de l'entreprise. L'accélérateur Service Compris a, par exemple, créé une offre spécifique pour les entrepreneurs de l'alimentaire avec la plateforme WeDoGood.

Ne pas oublier les aides indirectes

A côté de ce panel (non exhaustif) d'aides directes, se trouvent les aides indirectes, à ne pas négliger. À savoir, les aides fiscales. Il s'agit principalement du Crédit Impôt Recherche, du Crédit Impôt Innovation et du statut de Jeune Entreprise Innovante. « Ces aides interviennent après les dépenses, donc il faut avoir la trésorerie suffisante pour les mettre en oeuvre mais elles sont extrêmement intéressantes. Dès que vous avez un ingénieur qui fait de la R&D, l'entreprise peut bénéficier de 10.000 à 20.000 euros de CIR et Crédit Impôt Innovation », explique Matthieu Bacquin de Self Innov. Charles Antoine Crosnier de iii-Financements prévient sur la non-possibilité en revanche de bénéficier de subventions et de CIR pour la même dépense.