Frais de paiement par carte : 3 mesures que la DSP3 gagnerait à imposer
Publié par Philippe Roy le - mis à jour à
Dans cette tribune exclusive, Philippe Roy fondateur de Red Yucca décrypte comment les commissions sur les paiements par carte bancaire explosent depuis plusieurs années, pénalisant des milliers de commerçants. La future directive européenne sur les paiements (DSP3) représente une opportunité unique de rééquilibrer la relation entre acteurs du paiement et commerçants. Voici trois mesures concrètes qu'elle gagnerait à imposer.
Depuis quelques années, une inquiétude monte chez les commerçants, discrète mais croissante : celle des frais de paiement par carte bancaire. Longtemps considérés comme une fatalité, ces frais explosent aujourd'hui dans l'ombre, sans réelle régulation. En France, de grands noms comme la SNCF, Auchan, Système U ou CDiscount dénoncent désormais publiquement des hausses de commissions. Et derrière ces alertes, une accusation de plus en plus nette : certains acteurs du paiement profiteraient de leur position dominante pour imposer des tarifs toujours plus élevés, en toute opacité.
Même le gouvernement français commence à s'en alarmer : La France souhaite d'ailleurs qu'un encadrement des frais de paiement par carte soit abordé au niveau européen. Le sujet est d'autant plus urgent que l'inflation tarifaire est loin d'être marginale : selon une étude de la Commission européenne, les frais de réseaux auraient augmenté de plus de 50% entre 2018 et 2022.
Dans ce contexte, la future directive européenne dite DSP3 (Directive sur les Services de Paiement 3) cristallise beaucoup d'espoirs, en particulier du côté des commerçants. Encore en négociation, cette réforme pourrait enfin s'attaquer au déséquilibre structurel qui pèse sur les entreprises. Mais à condition de ne pas céder au lobbying et des décisions aussi concrètes que courageuses.
Plafonner tous les frais, pas seulement l'interchange
La DSP2 de 2015 avait instauré un plafonnement de l'interchange, c'est-à-dire la commission reversée à la banque du client lors d'un paiement par carte (0,2 % pour les cartes de débit, 0,3 % pour les cartes de crédit). Mais ce plafonnement est partiel : il ne s'applique qu'à certaines cartes, et il exclut les frais de réseau (appelés scheme fees) facturés par les grands réseaux internationaux. Résultat : les acteurs dominants ont déplacé leurs augmentations tarifaires vers des zones non régulées.
Cette mécanique de vase communicant leur a permis de préserver leur position et leur profitabilité. Pour être efficace, ce plafonnement devrait être appliqué à toutes les cartes et à l'ensemble des frais, y compris les frais de réseau. C'est la seule manière d'éviter l'explosion des frais d'acceptation.
Rendre le surcharging possible
Le surcharging consiste à permettre au commerçant de répercuter au client une partie du coût lié à son moyen de paiement, notamment lorsque ce coût est très supérieur à la moyenne. Aujourd'hui, ce mécanisme est autorisé dans certains pays, interdit dans d'autres - comme en France.
Pourtant, dans plusieurs pays, les clients savent que payer avec certaines cartes coûte plus cher, et cela influence parfois leur choix. Car la réalité est là : entre une carte à 0,5 % et une carte à 2,5 %, l'écart est considérable. Le problème ? Le client n'en sait rien, et le commerçant ne peut l'éduquer en appliquant une surcharge.
Le surcharging pourrait être un levier puissant pour responsabiliser les consommateurs, les inciter à faire des choix plus vertueux, et soulager financièrement les commerçants. Mais pour être réellement utile, il doit être simple, lisible et intelligible. Inutile d'autoriser le surcharging si sa mise en oeuvre est rendue impossible par une complexité réglementaire kafkaïenne (exemples : uniquement sur certains types de cartes, sous certaines conditions, dans certains pays, pour certains types de transactions...).
En rendant le surcharging clairement défini (montant fixe ou pourcentage, avec ou sans plafond), compréhensible pour le client et facile à appliquer pour n'importe quelle boutique de quartier, la DSP3 pourrait réintroduire une forme de pression concurrentielle, aujourd'hui totalement absente du système.
Imposer une transparence tarifaire obligatoire
La structure des frais d'acceptation est aujourd'hui si complexe qu'elle en devient illisible. Commission fixe, frais minimum, variables selon le type de carte, la zone géographique, le type d'achat, la devise, transaction locale ou transfrontalière, ... La liste est longue et empêche tout comparatif réel.
Or, sans transparence, il n'y a ni concurrence effective, ni optimisation possible pour les commerçants. Il est donc indispensable que la DSP3 impose un reporting lisible, compréhensible, et accessible, avec des indicateurs clés.
Il est temps de rappeler une évidence : la complexité tarifaire ne devrait pas être une stratégie commerciale. Cacher les prix derrière un brouillard technique est une manière habile de maintenir une rente. Il faut en sortir.
Derrière ces trois propositions se joue une question plus large : certains frais ont-ils encore une justification économique réelle ? Ou ne sont-ils que la résultante de situations dominantes sur un marché oligopolistique ?