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Facturation électronique : un virage incontournable encore mal préparé contrairement aux autres pays européens

Publié par Jean-Pierre Filia, Manager / SAP expert LOG chez NTT DATA Business Solutions le - mis à jour à

Dans cette tribune exclusive, Jean-Pierre Filia, Manager / SAP expert LOG chez NTT DATA Business Solutions revient sur le cas de figure de la France qui fait face à des complexités que d'autres pays européens ne connaissent pas dans son déploiement...

La généralisation de la facturation électronique en France est désormais une question de mois. Dès septembre 2026, toutes les entreprises devront pouvoir recevoir des factures électroniques, et les grandes comme moyennes devront également émettre leurs factures dans ce format. Pourtant, à moins d'un an des premiers tests grandeur nature, l'écosystème reste largement à la traîne. Selon une enquête menée par Ipsos, Sopra Steria Next et Kolecto, 41 % des entreprises disent ne pas être prêtes. Loin d'être une simple mise à jour technologique, cette réforme implique une transformation complète des processus comptables et financiers.

Portée par des enjeux de simplification, de transparence et de lutte contre la fraude à la TVA, cette réforme devrait générer à terme un gain estimé à 4,5 milliards d'euros par an pour les TPE-PME selon Bercy, et 3 milliards d'euros de recettes fiscales supplémentaires dès 2028. Malgré ces perspectives positives, le terrain reste miné avec encore peu d'acteurs réellement prêts.

Pourquoi la France patine contrairement aux autres pays européens

Alors que plusieurs pays européens ont su prendre de l'avance sur le sujet, la France se distingue... par sa complexité.

En Allemagne, l'obligation de facturation électronique en B2B entrera en vigueur en 2025 avec des formats nationaux bien identifiés (XInvoice, ZUGFeRD). La Belgique et la Suède ont adopté le standard PEPPOL, réseau européen interopérable et sécurisé, avec des formats harmonisés. Le Danemark, pionnier en matière de digitalisation administrative, a instauré le modèle dès le B2G, avec un réseau éprouvé. En Pologne, le système KSeF centralise déjà toutes les factures électroniques B2B via une plateforme gouvernementale unique.

Face à cela, le modèle français fait figure d'exception... et de casse-tête. Le choix d'un triptyque de formats (UBL, CII, Factur-X), la multiplication des flux et les exigences réglementaires drastiques - sécurisation des fichiers, interdiction de transfert hors UE, reporting ultra détaillé - complexifient lourdement la mise en oeuvre. Même les prestataires de dématérialisation déjà rodés à l'international doivent revoir leurs architectures pour être compatibles avec les contraintes françaises.

À cela s'ajoute un calendrier de validation des Plateformes de Dématérialisation Partenaires (PDP) particulièrement serré. Des tests unitaires doivent débuter à l'automne 2025, suivis d'un pilote semi-réel début 2026. Les plateformes officiellement validées ne seront connues qu'au second semestre 2026... soit à peine trois mois avant l'échéance réglementaire. Les entreprises auront donc un laps de temps extrêmement réduit pour basculer, sans certitude sur les outils à intégrer ni sur les flux à activer. Ce flou nourrit l'immobilisme. 84 % des adhérents de l'USF (Utilisateurs SAP Francophones) n'ont pas encore démarré leur projet de conformité.

Prendre une longueur d'avance : un impératif stratégique

Dans ce contexte d'incertitude et de complexité, l'anticipation devient un levier stratégique décisif.

La réussite de la mise en place de la facturation électronique passe d'abord par une connaissance fine de ses propres flux : cartographier les circuits de facturation, identifier les systèmes en place, recenser les cas d'usage spécifiques, et poser un diagnostic clair sur la qualité des données.

Cette étape de préparation permet ensuite de structurer un cahier des charges adapté, d'aligner les exigences réglementaires aux réalités opérationnelles, de nettoyer les bases clients et fournisseurs, et de prévoir les ajustements nécessaires dans les outils comptables. Il s'agit aussi de choisir des partenaires technologiques fiables, capables de gérer l'ensemble du cycle de vie de la facture électronique, depuis l'émission jusqu'à l'archivage conforme, en passant par le reporting et l'interopérabilité avec les systèmes de l'État.

La phase de déploiement implique une planification rigoureuse, incluant le paramétrage des outils, les tests, la formation des équipes et la gestion du changement. Car au-delà de la technologie, cette réforme bouleverse les habitudes de travail, les relations avec les fournisseurs, les délais de traitement, et la gestion de la trésorerie. Les retards ou erreurs liés à une mauvaise préparation pourraient avoir des impacts directs sur l'efficacité financière et opérationnelle des structures concernées.

Au-delà de la conformité, cette réforme représente également une opportunité de modernisation. Automatisation des processus, réduction des erreurs, fiabilisation des données, pré-remplissage des déclarations de TVA, gain de temps administratif : les bénéfices attendus sont nombreux pour les entreprises qui sauront s'adapter. À condition de ne pas attendre la dernière minute.