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Greenwashing dans la finance : osons financer la transition !

Les scandales à répétition sur les fonds ESG qui n'en sont pas vraiment ont permis de se poser les bonnes questions sur la finance dite "verte" : les fonds durables et obligations vertes permettent-elles réellement la transition écologique des entreprises ? Si rien n'est moins sûr le Daf peut de son côté orienter son entreprise vers une réelle transition durable, garantie sans greenwashing.

Publié par Eve Mennesson le | Mis à jour le
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Greenwashing dans la finance : osons financer la transition !

Le 1er juin dernier, le patron de DWS, Asoka Woehrmann, a démissionné de ses fonctions : une décision qui fait suite à une perquisition de la police allemande dans les locaux de cette filiale de Deutsche Bank pour des soupçons de greenwashing. DWS est en effet soupçonnée d'avoir menti quant au classement « ESG » de certains de ses fonds.

Dans le viseur de la BaFin (autorité de régulation de la finance en Allemagne), DWS fait également l'objet d'une enquête de la part de la Securities and Exchange Commission (SEC), l'organisme fédéral américain de réglementation et de contrôle des marchés financiers, qui s'en est pris à plusieurs grandes banques ces derniers mois : BNY Mellon pour des informations inexactes sur les critères ESG, Goldman Sachs Asset Management sur le respect des critères ESG... En France, l'autorité des marchés financiers (AMF) a annoncé dans sa feuille de route 2022 vouloir réaliser des contrôles auprès des acteurs de la finance durable afin de vérifier la cohérence entre les engagements contractuels et les investissements réalisés, ainsi que le dispositif de contrôle associé. Le greenwashing dans la finance ne va pas rester longtemps impuni.

Risque plutôt qu'impact

Il faut dire que les années précédentes ont vu émerger tout et n'importe quoi en termes de finance verte. Une étude de Greenpeace, publiée en juin 2021, a pointé le manque d'adéquation entre les placements qualifiés de durables et leur réel impact sur la crise climatique. « Les institutions financières s'intéressent plus au risque induit par le changement climatique qu'aux impacts des entreprises financées sur le changement climatique », explique Peter Haberstich, chargé de campagne à Greenpeace Suisse.

Il relève par ailleurs un autre problème : le manque d'ambition des institutions financières vis à vis des problématiques environnementales. « Si une entreprise est un peu plus durable qu'une autre alors elle est considérée comme durable. C'est ainsi qu'on se retrouve avec des compagnies aériennes dans les portefeuilles », remarque-t-il, soulignant qu'une activité ne devrait être qualifiée de durable que si elle est alignée avec les accords de Paris, c'est-à-dire la limitation de l'augmentation de la température à 1,5 degré Celsius au-dessus des niveaux pré-industriels.

« Les investisseurs devraient poser des questions sur ce qui est prévu à long terme pour atteindre cet objectif des accords de Paris mais ils ne le font pas. Ils ne s'intéressent qu'aux risques et aux rendements », regrette Peter Haberstich. Il est rejoint sur ce point par Pauline Becquey, directrice générale de Finance for Tomorrow, branche de paris Europlace qui est dédiée a la finance durable : « Les indicateurs d'impact doivent non pas se restreindre à une bonne gestion des risques mais traduire l'intentionnalité de l'entreprise. Si elle n'est pas là, il n'y a pas vraiment d'impact », souligne-t-elle.

Elle donne l'exemple d'une entreprise qui se vanterait de créer des emplois sans s'intéresser à la nature de ses emplois : ont-ils été créés dans un bassin où la problématique du chômage est importante, par exemple ? « Il ne s'agit pas de s'attribuer un impact positif après coup mais bien de définir un objectif en amont et de mettre en oeuvre une stratégie pour l'atteindre », précise Pauline Becquey. Finance For Tomorrow a d'ailleurs lancé en mars 2021 un groupe de travail sur la finance à impact duquel est ressorti une définition qui met en avant l'importance et de l'intentionnalité et de la mesure.

Surcoût vs rentabilité

Julien Lefournier, co-auteur de L'illusion de la finance verte (éditions de l'Atelier), estime pour sa part la véritable finance verte à seulement 1% des actifs. Intervenant le 14 juin 2022 dans le cadre du projet ClimatSup Business du Shift Project, qui vise à former les acteurs économiques de demain aux limites physiques planétaires, il a insisté sur l'inadéquation entre la recherche de rentabilité des marchés financiers et le coût tangible de la transformation écologique (ce qu'il nomme « la prime verte »). Autrement dit, investir pour transformer notre économie afin qu'elle réponde aux accords de Paris n'est pas rentable et cela ne peut donc pas intéresser les investisseurs. « Le marché recherche le plus faible risque et est court-termiste alors que la transition est risquée et se fait sur le long terme », ajoute-t-il.

Alexandre Poidatz, chargé de plaidoyer « Finance et climat » chez Oxfam France, cite à ce sujet de la « prime verte » une étude réalisée par son organisme : si, en 2018, la part des bénéfices versés aux actionnaires avait été limitée à 30 %, l'argent généré aurait permis de couvrir 98% des besoins en investissement dans la transition des entreprises du CAC 40. « Il y a des choix différents à faire », juge-t-il. Si les investisseurs prenaient un peu de leur part de ce surcoût lié à la transition écologique, au lieu de maximiser les profits, l'économie pourrait réellement se transformer.

Des obligations pas si vertes

Julien Lefournier pointe les obligations vertes qui n'ont de vert que l'appellation : « Un financement vert n'est pour moi possible qu'à deux conditions : il finance des sous-jacents verts et les investisseurs payent le surcoût de la transition écologique. Or même si elles financent des projets durables, les obligations vertes n'accélèrent pas la transition car les financiers ne prennent pas leur part : ces projets auraient eu lieu de toutes façons », considère-t-il. Pour lui, il ne suffit pas d'accepter de financer un projet durable mais de proposer un prix qui prend en compte le surcoût, la fameuse « prime verte ».

Et les sustainability linked bonds, ces obligations dont le taux varie en fonction de l'atteinte d'objectifs durables fixés préalablement ? « Les projets financés par ces produits ne sont pas nécessairement verts puisque les KPIs sont fixés par les émetteurs eux-mêmes et n'ont souvent pas de sens, comme l'a fait remarque Reclaim Finance », souligne-t-il. Les fonds ISR ne trouvent pas non plus grâce à ses yeux, rejoignant sur ce point l'étude de Greenpeace sur la préférence des risques aux impacts.

Julien Lefournier pointe par ailleurs qu'il n'est pas vrai que les investisseurs s'engagent pour plus de durabilité, forçant par là-même les dirigeants d'entreprises financées à prendre un virage plus durable. Il cite à ce propos Orpea qui, après le récent scandale, continue à bénéficier du soutien d'investisseurs, même si certains fonds ESG ont vendu leurs actions.

Le rôle du Daf : mesurer et hiérarchiser

Face à ces dérives où la finance verte n'est que du marketing, existe-t-il des solutions ? Pour Julien Lefournier, de nombreuses choses peuvent être faites au niveau réglementaire, comme subventionner les rendements verts et pénaliser le brun, afin de financer cette « prime verte ». Il pense surtout que le monde financier doit considérer le capital humain et naturel au même titre que le capital financier. Il rejoint sur ce point les défenseurs de la comptabilité environnementale.

Un changement qui va sûrement prendre du temps pour s'imposer auprès des établissements financiers mais qui peut déjà devenir une réalité au sein des directions financières des entreprises : elles ont en effet les cartes en main pour lutter contre le greenwashing au sein de leur entreprise en mettant en place des actions réellement durables, et en ne réduisant pas l'ESG à de la communication.

Elles peuvent tout d'abord aider à calculer le bilan carbone qui est, selon Peter Haberstich, la première étape pour les entreprises qui veulent réellement se lancer dans une démarche durable, à condition de bien inclure les scopes 1, 2 et 3, ce qui est très peu fait. Et pourquoi ne pas lier une partie de la rémunération des investisseurs et des dirigeants à cette empreinte carbone ?

A condition que ce soit significatif : Alexandre Poidatz rappelle qu'une étude d'Oxfam publiée en avril 2021 rapportait que seules treize entreprises du CAC 40 indexaient une partie de la rémunération de leur p-dg à un objectif climatique dédié (comme la réduction des émissions de CO2) mais que ces objectifs représentaient en moyenne à peine plus de 3,5 % de leur rémunération... Pour Pauline Becquey, au-delà du bilan carbone, il s'agit de gérer l'ensemble des impacts significatifs négatifs de son entreprise. « La réglementation SFDR impose en effet la publication de ces indicateurs d'impacts négatifs comme les émissions de gaz à effet de serre, le mix énergétique issu de sources non renouvelables, la gestion des déchets, etc ».

Le Daf peut non seulement calculer ces indicateurs mais aussi hiérarchiser les projets visant à les réduire. « Dans ce que sait faire le Daf, c'est la technicité qu'il peut apporter à des gens qui ne viennent pas du monde de l'investissement pour arbitrer entre différents projets en termes de « rentabilité RSE » en partant des chiffres et non des convictions », pense Grégoire Chevignard, Daf d'Eris. En posant les bonnes questions, il peut déceler les projets réellement RSE et ceux qui ne sont que cosmétiques.



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