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DossierDocuments contractuels: donneur d'ordre, mesurez bien votre obligation de vigilance!

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1 - L'obligation de vigilance des donneurs d'ordre dépasse la seule collecte

Kbis, attestation Urssaf, polices d'assurance... Les donneurs d'ordre sont dans l'obligation de collecter un grand nombre de documents auprès de leurs prestataires. Une obligation mal maîtrisée, d'où un risque pas toujours bien mesuré par les entreprises.

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L'émission Cash Investigation du 24 janvier 2017, consacrée à l'industrie du bois, était de ce point de vue édifiante: le patron d'Ikea s'est fait épingler par Élise Lucet sur sa méconnaissance de la provenance du bois utilisé pour ses meubles. En effet, il ne savait pas avec quels sous-traitants son propre sous-traitant travaillait. Un véritable risque d'image pour la marque, l'émission de France 2 étant suivie par plus de 3 millions de personnes et bénéficiant généralement d'un bel écho médiatique.

Car ne pas contrôler ses fournisseurs, c'est finalement ne pas savoir ce qu'il y a dans ses propres produits. Tout le monde se souvient de la viande de cheval dissimulée dans de nombreux plats surgelés, sans que les marques elles-mêmes, Findus et Picard notamment, n'en soient au courant. Méconnaître ses fournisseurs c'est courir un risque d'image, donc, mais aussi un risque économique: en janvier 2016, Air France a été condamné à payer une amende de 150000 euros pour travail dissimulé car elle avait eu recours à un prestataire pour ses agents de sécurité qui sous-traitait auprès d'entreprises off-shore pour éviter de payer certaines heures de travail... Et quid du risque juridique? En effet, comme le rappelle Me Xavier Marchand (), les entreprises sont soumises notamment à un "devoir de vigilance" et doivent collecter différents documents attestant que l'entreprise sous-traitante ne recourt pas au travail dissimulé. Au risque d'être poursuivi pénalement...

Le contenu de l'obligation de vigilance

Aucun donneur d'ordre ne vérifie à chaque fois l'authenticité des documents transmis par ses fournisseurs.

Pourtant, les entreprises ne semblent pas toujours mesurer l'importance de cette obligation de vigilance et du contrôle qu'elles doivent effectuer auprès de l'ensemble de leurs fournisseurs. À l'occasion d'un mémoire de troisième cycle sur la sécurisation de la procédure achats, André Anglade a mené une étude auprès de 500 dirigeants (directeurs juridiques, directeurs achats, directeurs financiers, etc.) sur les risques liés aux ­documents contractuels. Et les résultats sont pour le moins étonnants. Si 91% des entreprises transmettent une liste des documents à collecter à leurs fournisseurs, seules 12% livrent une liste spécifique à chaque ­attributaire. 74% des donneurs d'ordre interrogés vérifient systématiquement les documents transmis (dates de validité, adéquation, etc.) mais aucun ne vérifie à chaque fois l'authenticité des documents reçus.

"Manque de temps, de moyens, de méthodes... Les entreprises ne savent pas comment collecter les documents contractuels ni comment vérifier leur authenticité, observe André Anglade, l'auteur de l'étude. Pourtant, il y a un véritable suivi de tous ces documents à faire." Il donne l'exemple d'une attestation fournie par une société roumaine: "Il faut se demander si cette entreprise est bien apte à délivrer une attestation", insiste-t-il. Il invite les entreprises à être paranoïaques et à vérifier point par point chaque document transmis. "Si une entreprise se dit habilitée à travailler en hauteur, que ce n'est pas vrai et que le donneur d'ordre ne l'a pas vérifié, il y a un risque de comparaître en correctionnel en cas d'accident grave", alerte André Anglade.

Kbis, attestations Urssaf, liste des travailleurs détachés mais aussi certifications ou encore attestations d'assurance. Les documents à recueillir sont nombreux pour s'assurer que le fournisseur est bien habilité à faire telle ou telle tâche, qu'il n'a pas recours à des travailleurs détachés ou encore qu'il est bien assuré. "Lorsque j'organise un feu d'artifice, avant même de regarder le montant de la prestation, j'étudie la police d'assurance, notamment pour m'assurer que le montant de l'indemnisation en cas d'incident est suffisant", indique Stéphane Roussin, chef du service maîtrise d'oeuvre et événementiel de la tour Eiffel.

Un suivi des contrats très aléatoire

Jean-Charles Savornin, fondateur de Projectence, société de conseil en organisation, pointe le fait qu'aujourd'hui, n'importe quel opérationnel peut contracter avec un fournisseur sans forcément passer par le service en charge des contrats (achats, juridique, financier, selon les entreprises). Dans ces conditions, qui est au courant que ce contrat existe et qu'il peut faire courir des risques? Et même quand le processus de signature du contrat est respecté, avec appel d'offres et supervision juridique, le suivi du contrat n'est pas toujours assuré. Et des risques liés non plus. Qui se charge de vérifier de la validité des documents contractuels? Bien souvent, personne...


"Manque de temps, de moyens, de méthodes... Les entreprises ne savent pas comment collecter les documents contractuels ni comment vérifier leur authenticité." André Anglade

Autre problématique: selon Jacky Dubuisson, dirigeant de la société d'assistance à la maîtrise d'ouvrage et d'oeuvre Asfalys, beaucoup de dirigeants décident de fermer les yeux quand le fournisseur sélectionné tarde à remettre les documents ou transmet des documents non valides. "Recommencer tout un processus de sélection d'un fournisseur fait perdre du temps à un projet. Et le service risque, de plus, de perdre le budget qui lui était alloué", avance-t-il.

C'est donc avant tout d'une question d'organisation dont il s'agit. Collecter les documents contractuels, ça ne s'improvise pas. Première chose à mettre en place: une bonne gestion des contrats. "Il est impératif d'avoir une rédaction attentive des contrats de prestation de services, notamment quant au régime de responsabilité et à la vérification de l'intégration, souvent en annexes, des exigences techniques qui s'imposent au prestataire", insiste Flore Maunier, responsable juridique chez In Extenso. Dès le contrat, doit apparaître la liste des documents que le prestataire est dans l'obligation de fournir ainsi que la fréquence avec laquelle il doit les transmettre. "Des pénalités financières en cas de non-transmission régulière de ces documents doivent être prévues, estime Bruno Frel, expert achats responsables Groupe Afnor. Et aucun projet ne doit débuter si l'ensemble des documents demandés n'a pas été récupéré." David Museur, fondateur de la société de gestion des risques RiskAttitude, conseille d'appeler les assureurs avant même de signer les contrats, pour être sûr que le prestataire est bien assuré.

Gestion de l'ensemble des risques fournisseurs

Cette bonne gestion des contrats passe également par de la pédagogie en interne pour faire prendre conscience des risques à nouer des contrats sans supervision juridique. Ensuite, l'ensemble de ces contrats doit être centralisé afin d'avoir une vision exhaustive des prestataires avec lesquels l'entreprise est liée et quelles sont les obligations des deux parties.

Il s'agit ensuite non pas de simplement les stocker dans une contrathèque mais bien de gérer chacun de ces contrats tout au long de leur vie. "Un contrat se gère dans le temps: il faut des indicateurs, une équipe dédiée. Cela permet de minimiser le risque dans la gestion de la relation avec le prestataire externe", pointe Stéphane Jullien, directeur de la stratégie informatique chez In Extenso. Notamment en s'assurant de la bonne collecte des documents contractuels. Mais aussi en analysant chacun des documents reçus. "Ces documents sont une photo à un instant t. Ce qui est important, c'est de les analyser afin d'identifier les risques, de prévoir des plans de sauvegarde", pense Hicham Abbad Andaloussi, directeur commercial et associé de KLB Group. Par exemple, stocker une attestation d'assurance dont le montant d'indemnisation n'a pas été analysé ne sert à rien.

De nombreux outils existent pour aider les entreprises dans cette tâche (voir dédiées à la gestion des documents contractuels). Et le sujet des documents contractuels peut être une porte d'entrée pour une gestion plus large des contrats et des risques fournisseurs. "Les entreprises en profitent généralement pour aller plus loin et mettre en place une politique plus globale de gestion du risque", observe André Brabant. En effet, une fois la collecte de documents réglementaires organisée, on peut l'étendre à d'autres types de documents sur la santé financière du fournisseur, sa dépendance, ses engagements RSE, etc. Et gérer ainsi l'ensemble des risques fournisseurs.

Quelle fonction pour assumer la collecte des documents contractuels?

Juriste, acheteur, financier: quelle fonction va être le plus à même de collecter ces documents, d'en vérifier l'authenticité et d'en contrôler la validité? Et comment cette personne doit-elle s'organiser? L'opération semble si complexe à mettre en oeuvre et si coûteuse que certaines entreprises ont tout bonnement abandonné. "Les entreprises ne sont pas conscientes des risques encourus, sauf celles qui ont déjà été confrontées à des problèmes", constate Olivier Audino, directeur de Buy Made Easy. Il souligne le coût que représente une bonne gestion de ce risque: "Relancer les fournisseurs, vérifier les documents, les mettre sur un serveur sécurisé, vérifier la validité... Cela exige d'y consacrer une personne à temps plein." D'autant plus parce que les documents doivent être réactualisés régulièrement, leur validité étant souvent de seulement quelques mois: "Cette réactualisation est très chronophage. Ce qui fait que beaucoup d'entreprises sont hors-la-loi", estime Hicham Abbad Andaloussi, directeur commercial et associé de KLB Group, société spécialisée dans l'implémentation de projets.

Une fonction est en train de monter en puissance: celle de contract manager, dont le rôle est de s'occuper de la gestion des contrats. Pour plus d'informations sur ce sujet, découvrez l'article "Non le contract manager n'est pas un juriste contrats déguisé!"

Ève Mennesson

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