Hélène Durand (Daf Storengy) : « L'enjeu central est celui de la performance financière indissociable de la performance commerciale et technique des actifs »
Publié par Christina DIEGO le - mis à jour à
Diplômée de l'École Polytechnique, de la London School of Economics et ancienne administratrice de l'INSEE, Hélène Durand, directrice Finance et Asset Management chez Storengy, dispose d'un parcours exemplaire à l'interface des sphères publique et privée. Elle livre à la rédaction ses réflexions sur le secteur de l'industrie énergétique, et les enjeux de décarbonation et de souveraineté énergétique au niveau européen. Entretien.
Directrice Financière et Asset Management, depuis le 1er juin 2025, Hélène Durand a rejoint le comité de direction de l'entreprise afin d'optimiser l'allocation des ressources, et de suivre les investissements stratégiques de Storengy, filiale d'ENGIE spécialisée dans les infrastructures de stockage souterrain de gaz naturel. Après un parcours entre le public et le privé, la directrice Finance a débuté sa carrière à la direction générale du Trésor avant d'exercer des responsabilités à l'Ambassade de France au Japon et ensuite, à la Présidence de la République en tant que conseillère économique et financière.
Vous avez été nommée à la direction financière de Storengy en juin dernier, pouvez-vous nous présenter l'entreprise et ses enjeux ?
Hélène Durand : Storengy, filiale du groupe ENGIE, est présente en France, en Allemagne et au Royaume-Uni. L'entreprise déploie une expertise industrielle de premier plan dans la conception, le développement et l'exploitation de stockages souterrains gaziers. Notre mission consiste à garantir la sécurité d'approvisionnement pour nos clients - fournisseurs de gaz et industriels - en leur offrant un accès ininterrompu aux ressources gazières, y compris lors des pics de consommation hivernaux.
Nous sommes aussi un levier de résilience pour le système énergétique dans son ensemble. Qu'il s'agisse d'une crise géopolitique, comme l'a illustré l'invasion de l'Ukraine, ou d'aléas climatiques affectant la production éolienne, nos infrastructures permettent d'absorber les chocs et d'assurer la flexibilité indispensable à la stabilité du réseau. Avec 21 sites stratégiques, nous commercialisons une capacité de stockage qui répond à des enjeux de sécurité et d'adaptabilité. Dans un contexte marqué par la transition énergétique et les tensions sur les marchés, cette mission prend une dimension encore plus critique.
Vous avez eu un parcours atypique, entre des postes dans le public et des entreprises privées. Qu'est-ce qui a motivé ce choix ?
H. D. : À l'issue de mes études, j'ai choisi de m'investir dans le secteur public. Mon parcours a débuté au ministère des Finances, où j'ai consacré mes dix premières années professionnelles à des enjeux variés, comme la politique économique, la réglementation financière, avec une forte dimension internationale - régulations, négociations et coopération. Cette expérience m'a conduite à travailler tant au sein de Bercy qu'à l'ambassade de France, avant de participer, en 2011, aux travaux liés à la présidence française du G20, du G7 et du G8 - une période marquante où j'ai contribué, sous l'angle économique et financier, à la défense des intérêts de la France sur la scène internationale.
J'ai ensuite souhaité franchir le pas de l'autre côté du miroir, dans le secteur public, où l'on régule, organise ou fiscalise, à l'entreprise, où l'on crée directement de la valeur, et du PIB. Il s'agissait de basculer du côté de ceux qui font, plutôt que de ceux qui encadrent. C'est ce qui m'a conduite à rejoindre Total Energies en 2012. Le choix de l'énergie s'est imposé. Il s'agit d'un secteur macroéconomique crucial tant pour les pays producteurs que pour les importateurs comme la France ou l'Europe. Mon expérience d'économiste y trouvait un terrain idéal, même si, à l'époque, je ne mesurais pas encore toute l'ampleur des bouleversements qui s'annonçaient dans ce domaine. J'ai rejoint ensuite le groupe ENGIE en 2022, au sein de la direction financière du groupe, où j'ai été en charge, pour l'ensemble du groupe, des financements et des investissements.
Comment cette double expérience influence-t-elle aujourd'hui votre rôle de directrice financière ?
H. D. : Le fait de commencer ma carrière en tant que fonctionnaire pour le gouvernement, et de venir travailler chez ENGIE, dont l'État est actionnaire, était assez naturel. ENGIE joue un rôle très important dans la stabilité du système énergétique, en termes de flexibilité et de sécurité. Cet engagement vis-à-vis du fonctionnement du système énergétique européen est le même que celui que je pouvais avoir quand je travaillais sur la politique économique au sein des ministères. Ensuite, il y a autant d'opérationnel que de « day-to-day » sur les questions de performance industrielle, mais il y a aussi la vision à long terme pour savoir comment on accompagne la transition énergétique pour nos clients et pour notre portefeuille d'actifs.
Vous êtes arrivée chez ENGIE en pleine crise de l'énergie, après l'invasion russe en Ukraine. Quelles ont été vos priorités à la direction Finance dans ce contexte ?
H. D. : En effet, dès mon arrivée, nous avons été plongés dans un cycle totalement inédit, entre des besoins de liquidité forts, une inflation atteignant des sommets que personne n'avait imaginés. Pour une direction financière, cela signifiait repenser en urgence la gestion du cash, la structuration de la dette, et surtout, la résilience du bilan.
Certains acteurs énergétiques n'ont pas survécu à cette période, faute de trésorerie suffisante pour honorer leurs engagements - notamment les appels de marge sur les marchés. ENGIE, en revanche, disposait d'un bilan suffisamment solide pour non seulement traverser la crise, mais aussi en sortir renforcée. Nous avons même pu accueillir de nouveaux clients, dont certains concurrents n'avaient pas su anticiper les chocs.
Comment avez-vous géré cette période de turbulence ?
H. D. : Notre priorité absolue était de sécuriser la trésorerie et d'optimiser la dette dans un contexte de mouvements de taux imprévisibles. Mais ce qui a vraiment fait la différence, c'est le modèle de risque « équilibré » d'ENGIE. Nous combinons à la fois des activités régulées, stables et même très sollicitées du fait de la crise et une partie de l'activité qui est soumise aux prix de l'énergie et à la volatilité du marché. Cette diversification nous a permis de maintenir une bonne stabilité financière entre 2022 et 2024, alors que d'autres acteurs, trop spécialisés, subissaient de plein fouet les secousses du marché.
Quelle est votre feuille de route chez Storengy ?
H. D. : L'essentiel de ma mission est de m'assurer de la disponibilité de nos stockages pour nos clients. Cela passe par deux enjeux majeurs. D'une part, la performance industrielle et commerciale de nos actifs, qui sont d'âges variés. Il s'agit de maintenir leur compétitivité, afin que nos clients puissent stocker du gaz à des coûts attractifs. C'est un travail continu, un défi permanent - technique, industriel, opérationnel -, avec une exigence absolue, la sécurité.
D'autre part, nous devons nous donner les moyens d'investir dans la transition énergétique, pour contribuer à transformer progressivement le système européen vers un modèle décarboné. Concrètement, cela signifie investir dans le stockage de biométhane et d'hydrogène. Nous accompagnons cette transformation avec nos infrastructures existantes, mais pour y parvenir, il nous faut un cadre réglementaire adapté en France, en Allemagne, au Royaume-Uni et globalement au niveau européen.
Or ce cadre n'est pas encore totalement en place pour permettre les investissements nécessaires, notamment sur l'hydrogène. Nous sommes en attente d'une politique énergétique claire. Les Britanniques avancent plus vite que l'Union européenne, et les Allemands aussi, avec leur nouveau gouvernement qui se donne les moyens de déployer des infrastructures en hydrogène. En France, le gouvernement n'a toujours pas annoncé de programmation pluriannuelle de l'énergie, par exemple. Or, il est nécessaire d'avoir une action coordonnée avec les autres pays de l'Europe et les partenaires sur les politiques énergétiques et de régulation.
Quel est le rôle de la fonction finance dans l'accompagnement de l'innovation nécessaire du secteur et les enjeux liés à la décarbonation ?
H. D. : L'enjeu central reste celui de la performance financière, indissociable de la performance commerciale et technique des actifs. Cet équilibre est crucial, car il conditionne la capacité à dégager des marges de manoeuvre, nécessaires au développement et à l'investissement dans des projets stratégiques comme le stockage d'hydrogène.
Du côté de la finance, la mission consiste à assurer la solidité et la prévisibilité de cette performance, afin de soutenir le financement et de sécuriser les investissements indispensables à la transition énergétique. Cela implique la sélection précise des projets d'investissements, en maintenance ou développement, notamment le choix des puits et des stockages, qui constituent autant de leviers stratégiques pour accompagner et structurer cette transformation.
Comment pilotez-vous les investissements pour qu'ils répondent à cette stratégie ?
H. D. : L'objectif est de garantir l'avenir du système énergétique. Cela passe par des décisions quotidiennes d'investissement et par une planification rigoureuse des projets. C'est tout l'enjeu de l'Asset Management que je pilote. Il nous faut gérer un portefeuille de manière à offrir un service global aux clients, avec une vision adaptée à des infrastructures qui s'inscrivent dans une très longue durée. Chaque décision d'investissement engage plusieurs décennies. Il s'agit donc avant tout de préparer l'avenir, avec un horizon de temps particulièrement long, en construisant les infrastructures qui façonneront le mix énergétique et le système de demain. Autrement dit, le travail se fait toujours dans un lointain horizon.
Vous parlez de l'enjeu de décarbonation du secteur, quels sont les objectifs de Storengy sur le volet RSE ?
H. D. : En tant qu'acteur de l'énergie, nous travaillons énormément sur la décarbonation aussi bien pour nous que pour nos clients. Chez Storengy, tout le monde est contributeur, que ce soit sur les sites industriels où ils essayent de limiter leurs émissions de méthane, leur autoconsommation de gaz ou d'électricité, que ce soit en mon pole finances où nous veillons à investir en priorité dans des stockages de gaz vert. Tout le monde est concerné sur ce sujet. C'est vraiment dans notre ADN.
Et sur le volet social, nous avons le modèle de Catherine McGregor, qui est une des rares femmes CEO du CAC 40. Nous essayons de travailler sur ce sujet notamment avec un programme de mentoring pour attirer de potentielles femmes en finance. Au niveau de Storengy, nous avons l'objectif d'atteindre 50 % de femmes cadres à l'horizon fin 2030.